lundi 14 novembre 2011

Slagsmålsklubben : Cataclysme Sonore




Si le Dieu des synthétiseurs existe, leurs représentants sur Terre sont les six membres de Slagsmålsklubben, le « Fight Club » de Norköpping venu ici-bas pour répandre la bonne parole, violemment, sans concessions. L’adjectif « révolutionnaire » peut enfin être attribué à une musique des années 2000, à des personnes vivantes, à des concerts à venir.
Emplie de codes, dotée d’une esthétique sonore précisément définie quoiqu’en mouvement, Slagsmålsklubben est une institution.
C’est une musique que l’on attendait, que l’on pressentait sans savoir à quoi elle ressemblerait. Une musique sans influences, sans inspirateurs et sans histoire. Un phénomène électronique créé ex nihilo, permis par grand froid et longues nuits, entre Stockholm et Malmö. Est-ce bien un groupe ? font-ils bien de la musique ?

Slagsmklubben - Kasta Sten by Valth

La légende de la formation de SMK s’apparente à celles de la baignoire d’Archimède ou de la pomme de Newton : un clavier pour enfant branché dans un ampli pour pallier une absence de chanteur. OK, pas terrible comme Genèse, mais on la gardera pour l’aspect providentiel. Le premier épître se nomme Fest I Valen (Parti Electoral, en suédois). Nous sommes en 2001, disons l’an I, SMK compte alors à quatre membres dont nous ferons ici l'économie de l'inventaire. Une œuvre sans label ni pochette, à moins que la pochette soit blanche avec écrit « Bild Oåtkomlig »  dessus (source : Lastfm), mais c’est peu probable.


       


L’aveugle ne les verra pas, mais beaucoup d’ingrédients sont déjà là, les prémisses du cataclysme sont présents : c'est l'Annonciation. L’ensemble est résolument sobre, méditatif, minimaliste. Kkkkk Come On représente déjà tout SMK : des basses en octaves, des sons en 8 bit, des lignes de synthés saturés, des phrasés impeccables. Hit me Hard en est la vraie pierre fondatrice, déluge sonore de 2 minutes 46 entrecoupé de citations incongrues de Brad Pitt extraites de Fight Club, pour rappeler qu’il s’agit bien ici d’un "Slagsmål". S’il est intéressant du point de vue historique, Fest I Valen n’est pas très connu car il n’a pas grand-chose pour plaire ; il est assez lent, d’aucuns diront mou, et un certain amateurisme plane sur toute la réalisation. Mais sa considération a posteriori, telles les partitions d’un Mozart de cinq ans, est fascinante.


Trompettes! Tapis rouge! Acclamations ! l’an III marque la naissance, ou plutôt la Nativité, de Den Svenske Disco, soit "La Disco Suédoise", en toute humilité. La pochette arborant un poney en peluche jouant du clavier avec des gants de boxe dans un caisson insonorisé appelle l’œil. Puis l’ouïe sera instantanément sollicitée par Övningsköra, la plus belle introduction qu’on puisse imaginer pour un disque sublime, chef d’œuvre intégral qui varie les atmosphères, multiplie les thèmes et les textures de son, revêtu pendant 40 minutes de phrases mélodiques célestes (Tjeckien Slovakien Och Tillbaks Igen, Stora Farliga Rymdprojekt Går At Pipan / Svenska Tennis). 





Les morceaux plus dynamiques ne tombent jamais dans la fainéantise (Wellington Sears, Kinematografen), certains ont une infantilité incongrue (Vi och Olle, I Don’t Miss You Rävbur),  et laissent entendre des mélanges d'orgue de barbarie et de game boy. On appréciera également la superposition des pistes dans Ussr et les formidables arpèges de la clôture du disque, qui tient aussi bien son rôle que l’introduction. On touche au céleste : de l'électro émouvante ! Qui y eût songé ? Rappelons pour le comprendre que ce disque est une collaboration de six personnes travaillant par groupes de deux ou trois ; seule une entente relationnelle et esthétique sans faille a pu permettre la réalisation d"un tel chef d’œuvre.  Cet opus assiéra la réputation nationale du groupe, et ils ont maintenant un petit label local, Beat That !

Un an plus tard paraît ce qui est sans doute l’œuvre la plus aboutie de SMK : Sagan om konungens årsinkomst (« Le revenu du roi », un jeu de mot en suédois pour « Le retour du roi », återkomst étant remplacé par årsinkomst...). Treize morceaux sans faux pas, un son plus profond et lourd que  celui de Den Svenske Disco, des thèmes plus complexes ; vous pourrez normalement écouter ce disque sans fin sans jamais vous ennuyer. Impossible de détailler les courants musicaux qui ont pu les influencer. Il y en a peut-être trop, sûrement aucun....




Les treize morceaux sont très variés mais rendent l’ensemble homogène: Du kitsch (Smart Drag Mr Chister, Rakade Ogonbryn Skall Det Vara) à la dynamique pop (Terror Flynn Ok Ok, His Morning Promenade) en passant par les expérimentations (Kom Igen Kommissarien, Grovhuggen Kepsgubbe) et les réussites grandioses (Bib, Alfons Dolphins, 1888 Franklin), il y a de tout mais tout sonne Slagsmålsklubben. Voilà, c'est ici que la page suédoise de SMK se tourne, au moins pour un moment.

Le succès national grandissant, les membres quittent Malmö pour Berlin, leur lieu de Croisade, qui pour le coup sera leur première influence clairement identifiable. On ne rappellera jamais assez à quel point la musique est ancrée géographiquement ; dans ce cas nous pouvons affirmer que la conception allemande minimaliste et carrée de la musique électronique cadrera (bridera ?) la folie créatrice et les épanchements des Suédois.





Boss For Leader, quatrième et dernier disque à ce jour, est excellent et se distingue nettement des précédents (l’anglicisation des titres signifie beaucoup, ainsi que le passage à EMI). La sagesse des boîtes à rythmes saute aux yeux, tout comme la réduction du nombre de pistes et la diminution de la saturation. Hé oui c’est Berlin. Mais c’est quand même Slagsmålsklubben, les mélodies sont toujours là, c’est encore de la « Modern Keyboard Music ». 

La très belle introduction Hänt laisse place au top5esque Sponsored By Destiny, sympathique mais infiniment plus répétitif et dancefloor que ce à quoi nous étions habitués. Des chansons inhabituellement sombres parsèment le disque (The World Welcomes Fame, Dysparennia) mais ne prennent pas le dessus face aux réjouissances estivales  de Malmö Beach Night Party et d’Han Som Tuggar Med Öppen Mun Dör, à la dance-années-80-mais-en-cool de Speedboats, ou aux retrouvailles scandinaves de Borg Of Hate et Spanska Förhoppningar. Le disque se clôt sur un jam électronique de 13 minutes 42, qui commence par de l’électro-ska, se poursuit par des bruits de vent pour s’achever sur une valse quasi-inaudible.






Voila brièvement racontée l’histoire de SMK. En fait il y a beaucoup de choses laissées en route : des EP, des singles en pagaille, ainsi que deux white sessions, dont les références peuvent être trouvées ici. Courrez les voir en concert si vous en avez l'occasion, il leur arrive intempestivement de passer dans le sud de l'Europe. Le flirt récent avec Kitsuné laisse redouter une normalisation abusive de leur musique, comme le montrent Brutal Weapons et Smedby Eyes. Enfin.... rappelons-nous Oscar Wilde : "Le public est extrêmement tolérant. Il pardonne tout, sauf le génie". Il y a fort à parier que l’âge d’or de SMK soit derrière eux, mais c’est assez pour tenir toute une vie.

 



1 commentaire:

  1. Je te trouve dur avec Sponsored by Destiny. Rien que pour le clip, ça vaut le coup.

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